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Le Giro vu de mon canapé
24 mai 2017

Seizième étape : Rovetta - Bormio 222 km (Le 23 mai 2017)

NIBALI AUX PROLONGATIONS

 

 

La bande de goudron noir se faufile dans un décor à la blancheur immaculée. Les lacets s’enchaînent, les coureurs ne sont plus que des petites taches de couleur dans la photo noir et blanc. A ces hauteurs, le Giro s’enfonce dans sa légende, les photos argentiques reviennent à la surface comme des madeleines de Proust. Et encore, aujourd'hui le mauvais temps qui sévit parfois à cette époque de l'année est remplacé par une belle journée printanière. On ne saurait retrouver les images épiques de certains Giro.

 

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Quand même, les coureurs qui grimpent les pentes sévères entre deux murs de neige deviennent des héros ressurgis du passé. On a beau être à l’époque du cyclisme régi par les données data, le contrôle de ses watts, de son rythme cardiaque, de sa cadence de pédalage, des ordres donnés par l’oreillette, au-dessus de 2 000 m, quand l’air se raréfie, il ne reste plus qu’une lutte inégale entre l’homme et la montagne. La bataille entre les champions devient un combat entre eux et la pente. Même pour eux, ces machines à rouler, « arriver en haut » reste une performance de choix. La compétition contre les rivaux devient presque secondaire. Il faut d’abord apprivoiser la route qui s’élève inexorablement. Les spectateurs le savent, eux qui pour la plupart sont parvenus jusque là-haut à la force de leurs mollets. On connait la valeur des choses. On sait ce que cela entraîne comme souffrance de relancer derrière chaque lacet, de pédaler face au vent dans des bouts-droits qui paraissent interminables dans ce décor rocailleux, de se lever sur les pédales pour franchir les pourcentages les plus élevés. On ressent dans sa chair chaque mètre gagné sur la montagne. On connait aussi le prix que l’on paye à rouler dans ces fonds de vallée qui paraissent tout plat sur les roadbook. Ces kilomètres de faux plats montants qui usent les organismes avant de débuter les escalades. Ils savent que la descente, avec des lacets serrés et des précipices vertigineux qui semblent vous happer, est un exercice épuisant. Les doigts se crispent sur les freins, le cou se contracte, tout le corps s’ankylose. Les différences de température entre les frimas de la haute-montagne et la moiteur des vallées complètent la difficulté. Alors, quand c’est au tour des professionnels de gravir la même côte, les mêmes routes qu'ils ont parcouru avant eux, les amateurs qui ont déposé leurs vélos sur les murs de neige, comme des trophées, oublient toutes les vicissitudes de ce sport, ils remettent les compteurs à zéro et applaudissent même les adversaires de leurs favoris.

 

 

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Tout le monde avait coché cette journée sur son agenda. Elle devait être dantesque. Plus de 220 km, 5 400 m de dénivelé, deux passages à plus de 2 500 m, le mythique Stelvio à 2 757 m, une fois de plus Cima Coppi du Giro (le point le plus haut de la course), une montée inédite avec l’Umbrail Pass 2 501 m (le versant Suisse du Passo Stelvio) et pour débuter, le Mortirolo, ce col découvert dans les années 90 aux pourcentages effrayants, heureusement gravi aujourd’hui par une face moins ardue. Alors, bien évidemment, c’était la journée clé, surtout pour les poursuivants de Dumoulin bien accroché à son maillot rose. Le tappone tout le monde l'attendait avec impatience. L’affiche était belle, elle avait la gueule d'une finale de football. Et comme souvent, l’enjeu tua le jeu. Les équipes se marquaient, personne n’osant complètement se dévoiler de peur de subir des contres assassins. Comme dans un match de foot, il a fallu attendre les prolongations pour que le match se débride, qu'il devienne fou, qu’il frappe à la porte des matchs de légende, qu’il marque les esprits pour de longues années.

 

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On avait laissé Luis Léon Sanchez de chez Astana rendre hommage au regretté Scarponi en franchissant le Mortirolo (rebaptisé Salita Scarponi à l’occasion) en tête. Il emmenait avec lui un groupe d’une grosse vingtaine de coureurs. Parmi eux, Kruijswijk étant le plus dangereux. On se rappelle qu’il avait le maillot rose sur le dos avec une avance confortable quand il fut poussé à la faute dans la descente du Col Agnel, à trois jours de l’arrivée. Ses rêves en rose se fracassant contre un mur de neige. Nibali s’en allait vers une victoire renversante. Les Movistar occupait parfaitement le terrain avec Amador et Anacona, dont on imaginait qu’il puisse servir de relais à Quintana plus tard. Les Sky, à quatre, avec Landa notamment étaient présent et visaient clairement la victoire d’étape.

 

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En montagne, la course devient plus limpide. Les plus faibles et ceux n’ayant rien à jouer étant relégués dans les grupetti, seuls les coureurs pouvant influencer la course se retrouvent devant. Les magnifiques forêts d’épineux des Alpes sont une scène parfaite pour ces premiers actes. Puis, la vallée de Bormio, où sera jugée l’arrivée après la double face du Stelvio, vient se fracasser contre un mur de roches. La haute-montagne s’érige devant les roues des coureurs comme un monstre à combattre. La course cycliste quand elle bute contre ces pentes à un aspect mythologique. Les héros, pour continuer l’aventure, doivent terrasser un ennemi redoutable. Aujourd’hui c’est le Stelvio.

 

 

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Je devais avoir 15/16 ans la seule et unique fois où je suis passé dans le coin. Nous étions en balade vers les Dolomites en famille. Nous avions campé au bord de la route, près de la série de tunnels au bas du col. Au petit matin, nous avions enfourché nos vélos avec mon père, et nous avions terminé l’ascension. Je me souviens de cette sensation d’euphorie qui m’avait pris dans les derniers hectomètres de la grimpée. J’étais Lucho Herrera et je pensais encore pouvoir un jour me mêler aux coureurs du Giro. Un rêve qui se heurta rapidement à la réalité. 

Que vit-on dans la première montée du Stelvio ? Pas grand-chose en vérité. On comprit très vite que personne n’envisageait une attaque lointaine. Esseulé rapidement par la perte de ses équipiers, Tom Dumoulin donnait quelques signes de nervosité, il repoussa un supporter colombien un peu trop fervent, se tournait souvent pour voir où se situaient ses adversaires immobiles. Par le jeu des alliances de circonstances, nerf de la guerre tactique dans le vélo, les Trek pour le compte de Mollema réglait le rythme du gruppo maglia rosa. Il ne fallait pas laisser Kruijswijk prendre trop d’avance. Les échappées naviguaient à 2 mn, laissant une palanquée de coureurs à quai. Ils se retrouvaient à huit devant. Landa, Amador et le jeune néerlandais faisant figure d’épouvantail. Landa prenait les points du maillot bleu et pasasit le premier à la Cima Coppi. Pour la postérité.
Le Stelvio n’avait pas déclenché de bagarre malgré l’isolement de Dumoulin. Les images de la montagne tout de blanc vêtu étaient saisissantes, la beauté des lieux palliait le manque d’envergure de la course. A deux kilomètres du sommet je m’étonnai de voir Dumoulin enfiler son coupe-vent. Les autres attendaient la bascule, classiquement. Ils étaient à 2 757 m, Landa passa la Cima Coppi en premier, ils voguaient sur l’un des toits de l’Europe, craintifs, concentrés à l’extrême, chacun renfermé dans sa solitude malgré le public et les autres dossards.

 

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Même la descente sur Trafoi ne donna rien, malgré les 48 lacets numérotés. Ce sont les moments où une course peut basculer dans l’irrationnel. Dumoulin isolé, ce sont les autres équipes qui contrôlaient l’avance des hommes de tête. Mais si elles s’arrêtaient ? Movistar n’allait pas courir après Amador, pas très loin au général. Se pouvait-il que le second couteau puisse créer une surprise énorme par le jeu tactique ? Et Kruijswijk pouvait-il renverser le Giro comme lui fut renversé l’an dernier ? On se posait toutes ces questions tout en attendant que quelque chose se passe.

 

 

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Nous étions en Suisse, à l’approche de la dernière montée du tappone. Le groupe roulait à un rythme modéré. Soudain, on vit Tom Dumoulin s’arrêter, jeter son vélo sur le bas-côté herbeux devant un panneau de signalisation. Incident technique ? Non, il ôta son maillot comme piqué par un insecte, puis retira ses bretelles en urgence, plongea dans le creux du talus, et baissa son cuissard. Tom Dumoulin était malade, pris d’une colique.

 

 

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Flottement dans le groupe. On ralentit, on tergiversa. Fallait-il attendre ? Mais devant on roulait toujours. Dumoulin avait bien dû perdre une minute sur le coup puis encore des secondes pour se relancer. Allait-il s’en remettre ? Tout de suite ? Impossible de le savoir. Toujours est-il qu’il se retrouvait carrément seul, en énorme difficulté, Laurens Ten Dam son dernier équipier lui signifia d’une tape dans le dos qu’il fallait maintenant se débrouiller comme une grand. Bonne chance Tom. Les derniers sapins indiquaient à la troupe que bientôt il n’y aurait plus beaucoup de temps pour envisager une action. Tom Dumoulin retrouvait un peu de couleur, les jambes tournaient à nouveau parfaitement, il avait retrouvé un coup de pédale aérien. Ni Nibali, ni Quintana ne voulaient prendre la responsabilité d’éliminer Dumoulin de cette façon. Et comme le sommet se rapprochait, c’est Zakarin qui rompit la trêve.

 

 

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Franco Pellizotti, le dévoué de Nibali força l’allure. Quintana retrouvait Amador, lâché devant par un Landa qui s’envolait seul. Il aida en quelques relais son leader. Mais on ne comprenait pas trop la tactique des Movistar. Alors qu’ils étaient en force à l’avant, que l’on pensait que les équipiers allaient servir de tremplin à Quintana, on ne voyait plus que le Costaricain près du leader au moment où ça allait compter. Pour quelques hectomètres seulement. Erreur de stratégie ou bien simplement un manque de consistance de la part des gregari ? On ne sentait pas Quintana près à dégainer une attaque franche. Drôle de bonhomme. Avec sa bouche fermée quand les autres l’ouvrent bien grand pour emmagasiner de l’air, Quintana ne semble même pas respirer.

Si loin de sa ville de Messine, Vicenzo Nibali appuya juste un peu plus fort sur les pédales. En difficulté sur les montées sèches était en train de démontrer que les grands tours se jouent sur trois semaines. A l'endurance, tout là-haut, au-dessus des 2 000 m, avec des montées interminables et des descentes vertigineuses. L’herbe devenait plus rare, elle pointait tout juste son nez à l’air libre, après des mois sous un épais manteau neigeux. Ce n’est pas uniquement Nibali qui fit des dégâts, mais l’accumulation de toutes ces difficultés depuis le départ de Sardaigne. Qui pouvait le suivre ? Ils étaient trois : Quintana, toujours illisible, le minuscule grimpeur italien Pozzovivo, et l’inusable russe Zakarin. Derrière, Pinot affichait ses limites, et sans un Jungels métronome, il aurait sans doute perdu beaucoup plus aujourd’hui. Dans le pas du luxembourgeois, sans doute l’un des prochains outsiders des courses par étapes, on retrouvait Mollema, Yates et Formolo le jeune italien. Ils allaient tous débourser autour d'1'30"" sur la ligne. Ça se jouait à la pédale, ou plus précisément contre la pente. L’Umbrail est plus dur que le Stelvio, ces 16km à plus de 8% de moyenne situés en toute fin d’étape font la différence. Les quatre se relayant revinrent sur ce qui restait des échappés, incapables de les suivre. Seul Landa leur résista et enfila le maillot bleu en basculant encore une fois en tête. Nibali s’arracha dans les derniers mètres, toute rage dehors, s’arc boutant sur son vélo il faillit décrocher Quintana de sa roue. Le colombien parvint à garder le contact in extrémis. Pour l’instant.

 

 

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Le maillot rose ? On le vit se réhydrater, manger à nouveau un gel énergétique, surtout il ne paniquait pas, il limitait la casse. S’il se déhanchait plus que de coutume sur les dernières rampes, il n’était absolument pas à terre.

 

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Il restait la descente du Stelvio, et c’est le moment que choisit Nibali pour épater son monde. Véritable artiste, maîtrisant parfaitement ses trajectoires, il décrocha Quintana, Pozzovivo et Zakarin comme un équilibriste. Il rattrapa Landa, on le vit carrément sauter par-dessus une flaque d’eau qui dégoulinait sur la route, se faire une petite frayeur quand sa roue arrière chassa dans un virage. Mais il était écrit que c’était son jour. Landa ne pouvait que s’incliner au sprint devant l’italien retrouvé qui empocha les 10'' de bonifications. Enfin une victoire pour le pays hôte. Ce ne pouvait être que lui. Une victoire qui vaut dans une carrière, de celle qui marque une histoire, qui fabrique les épopées. Nibali enflammait une nouvelle fois le Giro et se replaçait au classement. Un classement qui grâce ou à cause de la mésaventure du maillot rose s'ouvrait à nouveau. Quintana est à 31’’, Nibali à 1’12’’ et il faut descendre à la neuvième place pour trouver un coureur à plus de 5’. L'étape réine avait joué son rôle.

 

 

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Quant à Dumoulin, que dire ? Il termina à 2’18’’, effectuant on l’a vu, toute l’ascension et la descente seul, avec ce maillot rose sur le dos qu’il portait comme une croix. Un exploit peut-être moins retentissant que celui d’Oropa, mais qui inscrit nettement le hollandais parmi les durs à cuire, les coureurs qui comptent. S’il fallait une preuve à son talent, elle est toute trouvée. Tout dépendra maintenant de ce qu’annonce ce soudain ennui physique. Est-ce juste passager, auquel cas, sa grande silhouette donnera du fil à retordre aux plus forts, ou alors, c’est plus sérieux et lors des prochaines étapes de montagne, Tom Dumoulin reculera inéluctablement au classement. Mais sans doute, pour lui, l'essentiel est préservé. Il conserve son beau maillot rose même si Nibali lui fera jouer de nouvelles prolongations. 

 

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