Sixième étape : Reggio Calabria - Terme Luigiane 217 km (Le 11 mai 2017)
JOUR BLANC EN CALABRE
C’était un jour blanc. Au propre comme au figuré. La Calabre n’offrait pas ses plus chatoyantes couleurs. Le ciel laiteux, la mer sombre avec ses lourdes vagues venant s’écraser sur des plages de sable gris, n'inspiraient pas forcément une vision de vacances idylliques. Les villages de l’intérieur avec leurs case popolare, parfois très délabrées, dénonçaient cet écart que le Sud n’a jamais réussi à combler sur le Nord dominant. Les champs étaient balayés par le vent. Les plaines agricoles se succédaient dans les petits vallons qui s’égrènent entre deux collines. Il y a quelques temps, Rosarno fût le théâtre de violentes émeutes d’ouvriers agricoles africains. Ils dénonçaient des actes racistes. Les terroni, comme les appellent les italiens du nord, ces « cul-terreux », ces immigrés de l’intérieur qui montaient au Nord chercher du travail, ces victimes d’un racisme intérieur, sont devenus les coupables. L’immigration bouleverse les équilibres de l’Italie, dans un pays habitué à une une émigration massive, elle impose de nouveaux rapports de force en inversant le flux migratoire.
Le pays était endormi, uniquement secoué par le passage des cyclistes entre les rues de ses bleds somnolents. Les jolis bourgs accrochés aux montagnes étaient figés dans leur passé, les marina désertes avaient un goût d’abandon. Le contraste de lumières avec l’étape d’hier était saisissant, le tableau malgré le charme de ses coups de pinceaux était palot. Un peu à l’image de ce peloton, incapable de forcer son destin. Un peu à l’image des hommes forts qui se marquent aux cuissards, se toisent d’un regard et font semblant d’impressionner leurs adversaires en mettant en file indienne leurs équipiers. En vain.
Comme tous les jours, il y avait des coureurs à l’avant, cinq cette fois-ci. Ils sont arrivés au bout après plus de 200 bornes à jouer à saute-mouton par-dessus quelques strappi de la côte.
Pourtant, la Calabre offrait en cette fin d’étape un terrain propice aux mouvements. Terre de brigands, paraît-il, on pouvait s’attendre à une embuscade. Les petits centres aux contours médiévaux avec leurs tours séculaires en imposaient le cadre.
Sur cette même ligne d’arrivée, une montée nerveuse de 2 km, les précédents vainqueurs (Konishev, Fondriest, Jalabert, Garzelli) laissaient espérer qu'un puncheur puisse s'en inspirer pour semer la zizanie. La belle descente en lacets, placée juste avant le début de la rampe finale, paraissait une opportunité parfaite pour Nibali pour tenter de grapiller quelques secondes.
Ce genre de final semé d’embûches est la marque du Giro, ce qui le différencie nettement du Tour de France, dont le gigantisme ne lui permet pas de glisser sur des si petites routes. Seulement, voilà, comme on a coutume de dire, ce sont bien les coureurs qui font la course, et il faut bien constater que depuis le départ, ce Giro se calque sur le Tour. Au pays du catenaccio, la dizaine de favoris n’ont pas envie de se découvrir si tôt dans la partie.
Les cadors se neutralisant, le maillot rose n'étant pas inquité, la victoire dut choisir le sien. Devant, le deuxième larron de Trek-Segafredo, Pedersen, fut le premier à lâcher prise, le spécialiste italien de la fuga, Andreetta, de la controversée Bardiani pour des cas répétés de dopage, était trop léger pour atteindre le final. Pour Pöstlberger, premier maillot rose de ce Giro, la pente était trop raide. Il restait alors deux maillots rouge sur la ligne qui se disputaient la gagne. Dans un sprint acharné et interminable, le suisse Dillier de la BMC devançait d’un un boyau son compagnon Stuyvens, dont l’immense déception pour l’occasion perdue s’affichera de longues minutes sur les écrans de la télévision. Pour lui aussi, c’était un jour blanc.
Première victoire d'étape sur un Grand Tour pour Silvan Dillier. Membre de l'échappée décisive, le coureur de la BMC a devancé de peu sur la ligne Jasper Stuyven (Trek Segafredo) dans un sprint très disputé. Découvrez les meilleurs moments de la journée en vidéo.
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