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Le Giro vu de mon canapé
8 mai 2017

Troisième étape : Tortoli - Cagliari 145 km (Le 7 mai 2017)

Troisième et dernière journée en Sardaigne. La partition est connue, les gammes répétées jusqu’à l’ennui. La descente vers le sud de l’île avec arrivée dans sa capitale, Cagliari, n’est qu’un avatar des autres étapes. Des courageux s’embarquent pour une journée exposée au vent – et aujourd’hui il jouera son rôle ; pendant que le peloton, comme un bon berger, garde à faible distance les éclaireurs. C’est le déroulement classique d'une étape d’un Grand Tour (mais de plus en plus souvent toutes les courses cyclistes).

 

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Si vous souffrez d’insomnie, si vous avez besoin d’une aide pour faire une sieste, ce scénario télévisé tombe bien à propos. Je ne peux que féliciter les commentateurs qui doivent meubler, pendant des heures parfois, le vide. Un exercice compliqué. Rebondissant sur une crevaison, une petite chute, le placement dans le groupe d’un favori, un arrêt pipi, le Wikipédia d’un village que l’on effleure et tout autre micro-événement qui vient rompre la monotonie. Ce ronron paisible est un excellent somnifère, d’autant plus quand le cadet de la maison squatte l’écran familial pour jouer à Lego Star Wars sur la PS 4, m’obligeant à suivre ce film dénué d’action sur internet, avec son lot de contrariété : une image en basse définition (j’ai une connexion antédiluvienne) et des arrêts sur image intempestifs qu’il faut sans cesse « rafraîchir ». Même sur le bord de la route, la ferveur d'hier semble s'assoupir, et cette image qui fait le tour du web, des ces Nonne attendant le passage des coureurs semble en être le sympathique symbole.

 

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Heureusement, sur la chaîne L’Equipe, on a trouvé la parade. Le quatuor de commentateurs a le bon ton de me réveiller. Jérôme Pineau, ancien coureur professionnel, semble passer son temps à mettre l’accent sur les défauts du Giro et du cyclisme italien en général, usant de vieux clichés usés. Stephen Roche, un excellent coureur des années 80, use de son délicieux accent irlandais pour rappeler que c’était mieux avant. L’inénarrable « Polo la Science », que les chaînes publiques ont mis à la retraite, s'est vu repêché pour répertorier les intérêts touristiques et quelques vieilles anecdotes de course. Mais le grand leader de ce quatuor est Patrick Chassé. Sensé être le spécialiste es cyclisme, il me surprend tous les jours par ces erreurs qui frisent parfois la contrepèterie, comme lors de la première étape. Sur un graphique, il confond la vitesse (Speed) des coureurs avec celle du vent (qui était de 25km/h), et en conséquence, ne sait plus commenter le pourcentage de la pente (Slope) (le graphique indiquait 4%) et se perd dans une explication abracadantesque avant d’être repris par son compère Pineau. De même, hier, sur un tableau montrant l’âge des plus jeunes coureurs, de 1 à 6, dans l’ordre donc, il cafouille en le lisant à l’envers. Bien sûr, ce ne sont que des détails, mais ils ont le don de m’agacer et le mérite de me tenir éveillé.

 

Si les deux premières journées, les paysages et les routes pouvaient compenser le léger ennui éprouvé devant la course, dans cette courte descente vers le sud de la Sardaigne, il n’en fût pas de même. La route principale de la côte orientale de l’île se faufile dans une vallée déjà bien jaunie par le soleil. Les agglomérations sont lointaines, la mer reste à distance. Les tunnels et viaducs se succèdent après de longues lignes droites. Pas vraiment l’idéal pour les cyclotouristes. Par contre, une fois atteint le bord de mer vers le Capo Carbonara, la route s’incurve brusquement vers l’ouest pour rejoindre Cagliari par un lungomare bordé de petits capi et qui offre quelques magnifiques plages cachées derrière les figuiers de Barbarie. De splendides paysages avec des eaux limpides. Le vent s'invitant dans le tableau méditerranéen, zébrant d'écumes les flots de cette côte méridionale.

 

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Voilà de quoi réanimer les téléspectateurs mais aussi la course qui prend finalement son véritable départ. Car tout le monde le sait, qui dit vent, dit éventail, puis bordure. Qui parle d’éventail et de bordure pense immédiatement aux formations du nord, les équipes flandriennes et bataves. Et parmi elles, la plus forte est la Quick-Step. Secoué par un Jungels impressionnant, le peloton s’est morcelé dans les derniers hectomètres. Un groupe dominé outrageusement par les Quick-Step s'est détaché. Une véritable leçon, la démonstration d’un travail collectif, tout l’art de transformer un sport individuel en sport d’équipe. Toutefois, comme il faut un vainqueur, et comme tout ce joli travail était préparé pour leur sprinteur maison, le colombien Fernando Gaviria, à l’instar d’un Falcao recevant une offrande devant le but, n’a pas manqué de serrer un point rageur en franchissant la ligne en première position.

 

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Si ce n’est pas la première fois qu’un colombien gagne sur le Giro, ils sont d’ailleurs parmi les favoris pour la victoire finale avec Nairo Quintana, c’est sans doute la première victoire au sprint pour les sud-américains. La mondialisation du cyclisme semble même transformer les qualités intrinsèques des coureurs. Quand les colombiens ne se distinguaient qu’à l’approche des sommets, ils ont aujourd’hui un vivier bien plus complet. Fernando Gaviria n’a que 22 ans, et il n’y a pas à douter que cette victoire agrémentée du maillot rose, délaissé par Greipel sur un ennui mécanique survenu au plus fort de la bagarre, ne passera pas inaperçu à Bogota, Medellin ou Cali.

 

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Chaque fois qu’un colombien se distingue dans le monde du vélo, ressurgissent toujours en moi les souvenirs de Lucho Herrera avec son maillot Café de Colombia. Comme une madeleine de Proust. Lucho Herrera, ce frêle et pourtant magnifique grimpeur des années 80. En l’absence de tout bon coureur italien capable de bien figurer sur le Tour - Saronni et Moser, et les autres les suivant, se confinaient dans leur rivalité domestique -  je m’étais attaché à ce colombien. Je m’identifiais à lui, essayais de reproduire son style en montée, les coudes à angle droit, les mains qui mordent les cocottes des freins, les cheveux mi-longs au vent formant une raie verticale.

 

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C’était encore l’époque des vitesses sur le cadre, des cales pieds classiques et des têtes dénudées, sans casques, qui permettaient de reconnaître les coureurs même à la télé. Aujourd’hui, on a l’impression voir les mêmes crânes clonés à l’infini.
Je me souviens de cette étape qui se terminait à Saint-Etienne, en sautant par-dessus le Pilat. Lucho, retardé pour je ne sais plus quelle raison, remonte tout le peloton et s’enfuit sur les petites routes du Pilat. Dans la descente, il tombe et le visage ensanglanté, il va cueillir une victoire héroïque. Derrière lui, un groupe avec le Maillot Jaune Hinault, dans le sprint, le « blaireau » s’affale et lui-aussi, sonné et le visage en sang franchit la ligne. Epique !

 

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A cette époque, je voyais Herrera comme le David qui devait combattre les Goliath (Hinault, Fignon, Lemond). C’était pour moi toute l’essence du cyclisme, l’utopie de voir le petit battre les géants. Ce n’est jamais vraiment arrivé, même si le délicat et timide colombien s’est forgé un beau palmarès en gagnant une Vuelta, deux Dauphiné Libéré notamment; des victoires de prestige comme sur les Tre Cime di Lavaredo dans le froid glacial d’un Giro et quelques étapes du Tour; et ce Maillot à Poids dont il fut l'un des illustres détenteurs et qui lui allait si bien, comme un costard qui tombe bien.

 

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Je me souviens aussi de son courage lors d’une étape d’anthologie qui se terminait à l’Alpe d’Huez. Celle où Tapie ordonna à Lemond et Hinault de finir ensemble, dans un main dans la main qui scellait plus un contrat commercial qu’une amitié. En cette époque heureuse, avec mes parents et mon frère, nous avions vu la course à deux endroits, sur les premières pentes du Galibier et dans un des 21 lacets de l’Alpe. Lucho Herrera, lâché dès les premières pentes - l’étape passait par le Col du Galibier puis la Croix de Fer avant la montée sur l’Alpe d’Huez - s'était noyé dans l’anonymat du peloton, gravissant les pourcentages qui devaient le faire Roi en compagnie des colosses du grupetto. Sa détermination à aller jusqu’au bout, à ne pas abandonner, à ne pas trahir son métier m’avait tout autant touché que s’il s’était hissé sur les pédales pour s’envoler victorieusement vers les cimes. Cet épisode c'était les prémices d’un nouveau cyclisme, plus commercial, moins spontané, le vélo allait passer dans une nouvelle ère, plus technologique, plus scientifique, plus pointue, bientôt dépassée par le dopage de masse. Lucho Herrera restera à jamais mon dernier héros sans ambiguïté, le dernier espoir d'un David victorieux, la dernière idole de mon enfance.

 

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Échappé pour la deuxième fois depuis le départ du Giro, Eugert Zhupa, ceint de son maillot de champion d’Albanie est un précurseur. Je n’ai pas souvenir de voir des coureurs des Balkans dans le peloton. Si les slovènes, tchèques, slovaques, polonais ont leur part dans le concert mondial du cyclisme, il est inutile d’y rechercher des ex-yougoslaves ou des grecs. Aussi, la présence de cet albanais de 27 ans me fascine. Quel impact son exposition au-devant du peloton peut-elle avoir dans ce pays où les routes bitumées commencent à peine à quadriller le territoire ? Sans doute de manière marginale. Je me suis posé d’ailleurs la question sur le parcours de cet albanais. Quels chemins a-t-il put suivre pour endosser la casaque d’une écurie professionnelle ? Zhupa est né en Albanie, mais dès l’âge de cinq ans il a quitté son pays, comme beaucoup d’albanais, pour rejoindre l’Italie. Là, sa fiche Wikipédia n’en dit pas plus. Comment s’est-il dirigé vers le cyclisme plutôt que vers le football (sport le plus prisé par la diaspora albanaise), comment a-t-il gravit les échelons dans les courses amateurs pour signer un contrat pro ? Son histoire m’intrigue, et à défaut de la connaître, je vais suivre attentivement ses performances. Hier, après son échappée, il s’est accroché au premier groupe (une cinquantaine de gars qui entouraient les grands leaders de l’épreuve) pour terminer à une honorable 20ème place, prouvant ainsi un certain talent de rouleur.

 

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Le résumé vidéo de la 3e étape du Giro

Comme vendredi, le sprint massif prévu à l'arrivée de la troisième étape n'a pas eu lieu. Fernando Gaviria s'est imposé à Cagliari, ce qui lui permet de prendre le maillot rose à André Greipel. Découvrez le résumé de l'étape en vidéo. Le Giro 2017 est à suivre en direct sur La Chaîne L'Equipe .

https://www.lequipe.fr

 

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